De Mains De Maîtres - Biennale 2021 Catalogue de l'exposition

ELOGE DE LA MAIN… ET DES LENDEMAINS Si longtemps à vivre sans mains ! Sans mains à toucher. À serrer. À caresser. À sentir dans le cou ou rassurantes sur une épaule. Le temps d’une pandémie est passé par là qui nous a dispersé, éloigné, empêché… Plus de mains pour tenir, soutenir, apaiser, relever, guider. Plus de mains non plus pour dessiner, travailler, façonner. Les mains nous ont manqué comme jamais auparavant durant cette crise sanitaire, économique et bien plus profondément sociale. Cruellement, et à tous les niveaux, puisque le Monde s’est arrêté et, avec lui, les hommes, leur esprit et leurs gestes. Une distance s’est créée presque immédiatement entre les individus et le doute de chacun et de chacune envers l’autre et les autres. Des êtres qui se craignent et s’évitent plus qu’ils ne s’étreignent, échangent, festoient, collaborent et travaillent ensemble comme à l’habitude. En ces temps très particulier de crise sanitaire, et face à un confinement qui a touché plusieurs mois durant près de la moitié des habitants de la planète, la question s’est ainsi posée de la place de la création au cœur d’une société paralysée et d’un système économique pour la première fois réellement enrayé depuis l’aprèsguerre. S’il est vrai que les artisans d’art connaissent naturellement par l’essence même de leur travail une certaine forme d’isolement, jamais n’ont-ils vécu une telle distance d’avec leurs pairs, partenaires professionnels et publics. L’arrêt total de toutes formes d’événements, salons ou foires les a privés d’échanges et de dialogues. Les difficultés de déplacements et de transports ont enrayé partiellement, voire totalement, leurs actions et leur production. C’est ainsi tout leur « écosystème » qui a été, et reste encore aujourd’hui, bouleversé, remettant en cause leur existence même, leur création et leurs moyens d’exister. Il est sans doute encore trop tôt pour mesurer les conséquences d’une telle crise sur la création. Peut-être a-t-elle affecté le travail et la capacité de certains, mais aussi pour d’autres a t-elle pu au, contraire, provoquer une pause salutaire et parfois même un véritable renouvellement dans la manière d’aborder leur métier. Les uns se sont murés, refermés sur eux-mêmes par obligation ou résolution, alors que d’autres ont choisi de redoubler d’énergie, préférant se perdre dans l’action, « s’occuper les mains et se changer l’esprit ». Il n’y a pas vraiment de règles en temps de crise que de trouver sa propre voie pour s’en sortir au mieux. Quand certains matériaux sont venus à manquer, il a fallu, pourquoi pas, s’essayer à de nouveaux plus accessibles. Ne plus pouvoir sortir de chez soi a pu impliquer aussi de se réinventer, changer de pratique ou de format pour de simples raisons d’espace. Pourquoi ne pas reprendre le dessin ? Retravailler des œuvres parfois laissées de côté ? Utiliser chutes et rebus ? La création a cette étrange capacité à se mouvoir et se transformer toujours au-delà des contraintes d’espace ou de temps, et les artistes de se reconfigurer en fonction des conditions matérielles du moment Interrogés sur leur relation à la situation exceptionnelle des 18 derniers mois les réponses peuvent surprendre par leurs contrastes et leur diversité. I. sculptrice, confie que l’éloignement d’avec la fonderie, qui réalise ses œuvres en bronze de grand format, l’a poussée à travailler des pièces beaucoup plus petite, voire précieuses, en récupérant des chutes de bois dans l'atelier de son compagnon, lui même artiste. C. s’est senti davantage bloquée par la soudaineté de la pandémie et n’a pu réellement travailler pendant quelques mois. Le cœur n’y était plus, ni la motivation face à l’absence de toute foire ou salon où exposer. W. s’est enfermé dans son atelier pour rattraper le temps perdu et en a profité pour finaliser une commande très importante, même si celle-ci a été reportée en 2022. Dans l’atelier d’un artiste sont partout écrites les tentatives, les expériences, les divinations de la main, les mémoires séculaires d’une race humaine qui n’a pas oublié le privilège de manier. Henri Focillon DE MAINS DE MAÎTRES | 17

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