

DE MAINS DE MAÎTRES
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Transmettre le Beau
« L’ o e u v r e a u t h e n t i q u e v a a u - d e l à d u g e s t e ,
e l l e e s t l ’ i n c a r n a t i o n d e l ’ e s p r i t d u s a v o i r
e t d u s a v o i r - f a i r e . »
F r a n c o i s M a t h e y
Qu’évoque le mot artisanat aujourd’hui, ici au
Luxembourg, et partout ailleurs en Europe ?
Sans doute une certaine nostalgie, une idée de beau
et de travail bien fait, qui nous semble pour certains
comme déjà appartenir au passé. Peut-être aussi la
notion de pièces uniques ou en série limitée. Ce qui
me direz vous est gage de qualité, la garantie certaine
du rare et du précieux. Mais c’est aussi véhiculer
l’image de quelques savoir-faire passés ou dépassés,
de Métiers qui ne seraient plus même adaptés à notre
monde actuel, enclin lui chaque jour davantage à
s’évaporer dans une immatérialité grandissante.
Pourtant comme l’art, l’artisanat n’a que faire du
temps. Il se joue du temps. Il joue même avec les
heures, les jours et les années en répétant et en
perfectionnant à l’infini les gestes qui dessinent les
contours d’une création séculaire. L’artisanat se nourrit
de la perfection et s’épanouit dans la transmission. Des
générations d’hommes et de femmes se suivent et se
ressemblent à travers leur même passion à repousser
les limites du travail des formes et des matières, à
renouveler, à transformer et renouveler à chaque
époque les techniques, sans cesse à la recherche du
graal, de l’objet unique et merveilleux.
Il n’est qu’à voir la renaissance récente de la
céramique, la richesse de l’art textile contemporain, la
dinanderie devenue elle-même pur travail plastique,
les prouesses verrières ou du tournage du bois,
les dernières performances de l’ébénisterie... pour
ne plus douter que cet art du geste et de l’esprit,
cette « intelligence de la main » si chère à Liliane
Bettencourt*, ne participe aujourd’hui plus que jamais
à enrichir notre patrimoine culturel. Plus certainement
encore à en préserver la quintessence pour les
générations à venir.
De Mains de Maîtres propose à bien des égards un
regard différent sur les artisans et créateurs d’art,
à la fois curieux et bienveillant, tout aussi libre que
complice, dans le choix des œuvres et leur accrochage.
Le lieu y est sans doute pour beaucoup, salons privés
et intimes qui semblent nous dérouler leur Histoire
telle une véritable toile de fond, un écrin devenu
ici écran parfait à tant d’objets reflets de notre
patrimoine culturel d’aujourd’hui et nous pouvons
l’espérer de demain. L’amour aussi, car il faut avant
tout aimer les artistes dans leur fragilité comme dans
leurs forces, dans leur passion créative la plupart du
temps démesurée, pour pouvoir les comprendre, les
accompagner et mieux les servir.
L’engagement enfin du couple princier à défendre sans
relâche et avec conviction des Métiers trop souvent
dévalués pour leur restituer la place qu’ils méritent,
les consacrer enfin en un aussi bel espace au cœur de
Luxembourg.
Réjouissons- nous ensemble aujourd’hui de ce retour
sur le devant de la scène nationale et internationale de
tant de talents et savoir-faire, et d’autant d’excellence
et de préciosité, et partageons entre générations et
avec bonheur le pur plaisir d’un art de vivre tout aussi
fragile qu’éternel !
*
Créé en 1999, le prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main
récompense savoir-faire, créativité et innovation dans le domaine des métiers
d’art. Il est devenu un label d’excellence des métiers d’art français et contribue
à leur rayonnement. Depuis sa création, ce concours ouvert aux professionnels
des métiers d’art a consacré le talent de près de 95 personnalités, dans des
domaines très divers, dont les réalisations illustrent et mettent en évidence
l’intelligence de la main.
Jean-Marc Dimanche,
Commissaire de l’exposition